vendredi 6 mai 2011

Un album #8 : Rocketship - A Certain Smile, A Certain Sadness [1996]

Il est des albums qu'on peine à décrire avec objectivité, car ils frappent en plein coeur, et qu'aucun échappatoire raisonné n'existe. Il est aussi des albums qui marquent plus que tout par leur symbolique, par leur volonté d'assumer jusqu'au bout, de tout dire en mettant en avant des choix sans doute excessifs, mais fondamentalement sincères. A Certain Smile, A Certain Sadness, le premier disque des Californiens de Rocketship, peut être rangé dans chacune de ces catégories. Nous sommes en 1996, et ces quatre jeunes gens (Dustin Reske au songwriting, à la guitare et au chant, accompagné à ce moment-là de Vera Brock à la basse et au chant, Hedi Barney aux claviers, et Jim Rivas à la batterie) ont trouvé refuge chez Slumberland Records, après un premier single sur The Bus Stop Label (Hey, Hey Girl en 1994). Nous ne sommes pas plus tard qu'en Janvier, et derrière cette pochette poignante à l'éclat désuet se cachent huit morceaux, prêts à bouleverser toutes les âmes sensibles.

Les choses sont sans conteste au point dès I Love You Like The Way That I Used To Do (=>) : on se plonge dans une oeuvre de croisements, de synthèse. Le ton est résolument twee (garçon et fille aux voix entrelacées, atmosphère posée comme une couche de sucre glace, "ooh ooh ooh" dessinant une mélodie à en perdre la raison), la construction lorgne plutôt vers le shoegazing (on va d'éclatements en exaltations en suivant la piste de montées bruitistes étoilées), et la mise en son rugueuse met le clavier en avant dans le plus pur style 60's. Et puis ... c'est tout simplement écrit comme dans un rêve. Une évidence totale, où chacun des breaks, pourtant audacieux, n'hésite pas à nous serrer dans ses bras, où chacun des remous d'une montagne russe délicieuse retourne le coeur dans un clin d'oeil coquin. Suit une première surprise : le groupe se fend d'un appendice instrumental à la façon de My Bloody Valentine sur Loveless. Aimable transition vers Kisses Are Always Promises, qui convoque une ambiance réellement naïve, portée par ce synthé halluciné, ces lignes mélodiques simples comme bonjour, et surtout cette timidité qu'évoque la voix de Dustin Reske.


On se permet ensuite une première balade au détour de Heather, Tell Me Why (=>). Une boucle synthétique impénétrable soutient toujours ce même synthé qui crépite pourtant dans la fatigue, alors que des arpèges de guitare acoustique s'épuisent dans le lointain. Les mots fuient dans le vague, les voix se mêlent d'une franche tristesse, le vent souffle sur des souvenirs désespérés, des espoirs déçus ("All my nights are filled with dreams about you/But my arms are empty babe without you."). Le murmure d'un ange se propage (Bilinda Butcher, es-tu là ?), et on se dit que la fêlure est immense. Presque autant que l'envie d'en découdre sur Let's Go Away (=>), qui se joue d'une attente même pas raisonnable avant de s'enflammer dans un refrain jouissif, l'envie d'ailleurs comme seule finalité, une course folle les yeux fermés en guise de moyen de transport ("So we can go ... away"). Puis cet inlassable motif de basse sera répété dans une circonvolution rapidement éclatée, bientôt lassée. Le prix de la pop-song ensoleillée est ensuite remis à I'm Lost Without You Here (=>), à peine deux minutes d'insouciance curieusement vulnérable, sur un mode up-tempo qui laisse en définitive assez peu le temps de s'inquiéter. Les breaks sont renversants, les secousses ravissantes, et s'attache sur nos lèvres un sourire convaincu : il n'y a en réalité pas lieu de craindre la perdition. Un interlude plus loin, Carrie Cooksey (=>) s'inscrit sans hésitation dans cette ligne impétueuse : batterie martelée sans relâchement, mélodie acidulée, tête dans les étoiles (et l'ecstasy ?), et ce pour tout juste une minute, avant une pause en forme d'interrogation, simplement destinée à permettre aux réacteurs de la fusée noisy d'entrer en fusion. Adieu la terre.

Mais c'est dans un souffle d'ambiguïté que va se terminer l'album. We're Both Alone (=>) raconte d'abord les possibilités, les espoirs adolescents, dans une douceur improbable. On aperçoit même des violons venus souligner ce balancement rétro, et le rêve de cette mélodie candide. La plus exquise mise en musique qu'un soupir amoureux puisse connaître. Sauf que la pop est affaire de contrastes, et de coeurs brisés. Friendships And Love (=>) constitue sans doute à ce titre le plus triste et plus intense instant twee jamais imaginé. Ce rythme lent, résigné, cette voix qui traîne, les yeux dans le vague, incapables de fixer quoi que ce soit, perdus dans une rupture trop dure à accepter. Ces claviers qui pleurent pour de bon, cette fatigue, et puis ces mots, qui n'y croient plus ("Don't you think we could pretend/That friendships and love never end/Though I know, it's true/They do, they do, they do."), mais qui restent inoubliables pour peu qu'on les ait approchés. A Certain Smile, A Certain Sadness : après tout, nous étions prévenus.

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