You Made Me Realise se montre incontrôlable dès son commencement. La batterie est martyrisée par un Colm Ó Cíosóig furieux, les sont guitares terriblement bruyantes. Le couplet (puis le refrain à suivre, quasi-indissociable) est un modèle d'urgence pop, dont la brutalité frappe directement, en plein coeur, mais dont la mélodie acidulée et hallucinée marque peut-être tout autant par son immédiateté. Kevin Shields et Bilinda Butcher partagent des paroles énigmatiques lancées comme de très loin, nerveuses jusqu'à ressembler à de l'épuisement, à la façon de ces émotions exprimées sans ménagement quand on ne peut plus les contenir. Puis le brûlot glisse dans l'impossible quand, après un début de solo, la basse bourdonne et ouvre cet "holocauste" fait d'une fusion insondable, d'une perte de repères totale et inconditionnelle au centre d'un vacarme sans forme ni logique. Et alors qu'on croit voir notre cerveau imploser et s'éparpiller en morceaux, la pop-song refait son apparition, régénérée, prête soudain à aller réellement à son terme, toujours plus désarmante. Slow (=>) vient ensuite, sur un sample brûlant, préfigurer ce qui fera la grandeur de Loveless : mid-tempo presque sexuel, plaques de guitares et de basse ardentes, Kevin Shields qui chante entre grandeur transpirante et décadence frelatée, mélodie hypnotique et dévorante. Le final semble évoquer la lourdeur d'un soir d'été où éclaterait un orage, car soudain, malgré la chaleur rassurante, tout devient électrique, tendu.
Sur la face-B, on trébuche en premier lieu sur Thorn (=>), qui, malgré un larsen continuel qu'on pourrait vite trouver inquiétant, s'aventure sur les terres d'une noisy-pop plus ensoleillée. Mélodie bubblegum entêtante (surtout cette ligne de basse joliment délurée), Kevin Shields qui prend le chant en branleur flamboyant ("No thoughts, no dreams, no wishes and no fear."), la composition s'avère étonnamment enthousiasmante, tout-à-fait dans la veine de ce que le groupe avait proposé jusqu'alors. La suite, c'est la sublime Cigarette In Your Bed (=>), hymne romantique et usé, construit autour de breaks alternant tantôt les déflagrations de guitare (soutenues par une batterie à la lourdeur écrasante), tantôt des passages où un calme tout relatif laisse Bilinda Butcher exprimer sa sensualité. Le final est en tous points magistral, quand l'épais brouillard se trouve traversé dans une course folle, ponctuée par quelques onomatopées soufflées avec insouciance. Pour conclure, Drive It All Over Me (=>) se trouve finalement gagnée par une forme de douceur, et de simplicité. Là encore, on pense à l'époque fondamentalement C86 du groupe, tant la pop-song est éclatante, ravageuse car limpide, baignée d'une caresse de fuzz qui sait se montrer ouvertement lumineuse. La mélodie est divine, juste assez en tous cas pour donner envie de fermer ses yeux et de se laisser embarquer dans ce tourbillon délicieux, sucré et rêveur. À l'évidence donc, My Bloody Valentine venait en 1988 de réussir des débuts mémorables sur Creation Records, et d'attirer enfin réellement l'attention générale ... en même temps qu'il avait marqué durablement l'imaginaire collectif.
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